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Témoignage de Sophie

Sophie, 28 ans, devait témoigner lors de notre Assemblée Générale 2015. N'ayant pu venir, elle nous a laissé une lettre pleine d'espoir.

D’une manière générale, je ne garde que très peu de souvenirs de ma maladie. Je me souviens de Catherine, l’ambulancière, qui venait nous chercher chez nous à Bellevaux avec mes parents, pour nous emmener à Lyon... je me souviens de longues nuits à l’hôpital Debrousse, lorsque parfois je faisais semblant de dormir quand l’infirmière passait au milieu de la nuit, de peur que celle-ci me gronde si elle voyait que j’étais réveillée (ah, les angoisses d’enfant !)... je me souviens de ces mêmes infirmières qui jouaient beaucoup avec moi, et qui m’avaient donnée des seringues sans aiguille pour que je puisse m’amuser avec... et lorsqu’elles me donnaient le bain, je remplissais les seringues d’eau et je les aspergeais, et tout le monde rigolait, la maladie était loin de nos pensées... je me souviens de cet infirmier qui avait mis une cassette d’Henri Dès dans mon radio-cassette portable rouge, qui avait monté le volume à fond, et qui était parti à travers les couloirs en chantant et en dansant, avec le radio-cassette sur l’épaule, pour apporter de la joie et de la musique à tout le monde... je me souviens de cette personne qui était venue pour me faire l’école, avec un petit ordinateur (déjà en 1995 !), et que j’avais gentiment remerciée (c’est pas des manières ! Mais je préférais que l’on me lise mes « Martine », et c’est d’ailleurs comme ça que j’ai appris à lire toute seule par la suite). Je me souviens des dessins faits par moi et d’autres enfants, scotchés sur le mur à gauche de mon lit d’hôpital, qui apportaient de la couleur... je me souviens du Professeur Bertrand, qui est là ce soir et auprès duquel je m’excuse tellement de ne pas être ici. .. lui grâce à qui, plus que quiconque, je vis aujourd’hui. Et je me souviens, bien sûr, de mes parents qui étaient toujours là, parfois avec d’autres personnes comme mes grands-parents, et qui m’apportaient des petits jouets pour me faire oublier le temps...


Dans les choses moins agréables, je me souviens du moment où l’on m’a emmenée pour me faire opérer, pour que l’on me pose mon cathéter. Ma maman m’a dit, plus tard, que la séparation d’avec elle à ce moment là avait été affreuse... je me souviens du moment où le chirurgien m’a expliqué que je ne sentirais rien parce que j’allais m’endormir. Je me suis endormie, et, je m’en souviens encore, j’ai rêvé d’un bel arc-en-ciel qui colorait le ciel. Peut-être le signe d’un espoir, le signe que j’avais envie de me battre pour vivre,... Je me souviens aussi de ces moments très difficiles durant lesquels on me faisait me mettre en boule, le dos rond, pour faire les PL ou les miélos, ces piqûres atroces. Je me souviens encore de la douleur, la plus insoutenable que je connaisse... mais je me souviens aussi qu’après, à chaque fois, mes parents étaient là, présents, et grâce à eux j’oubliais vite ma souffrance.


Je me souviens peu du moment où j’ai perdu tous mes cheveux. En tout cas, sur le moment, je ne l’ai pas mal vécu, et c’est une bonne chose. Et j’avais la chance d’avoir un très joli chapeau pour mettre sur ma tête, et j’étais très contente avec ce beau chapeau !


Puis, doucement, la maladie est passée, je me suis battue sans le savoir...


Je me souviens du jour où j’ai eu le droit de manger à nouveau du fromage... quel bonheur ! Et je me souviens surtout du jour où mes parents m’ont expliqué que puisque maintenant j’étais guérie, on allait pouvoir adopter un chien, un joli petit colley, que l’on appellerait Jenna, comme dans un dessin animé que j’aimais beaucoup... Jenna, c’était le plus gentil des chiens, et c’était le symbole de ma guérison.


Je me souviens avoir grandi, et m’être rendue compte petit à petit de tout ce qu’il s’était passé... et c’est là, seulement, que ça a été plus dur. Car même si la souffrance physique était passée, c’est la souffrance psychologique qui a pris le relais. En grandissant, je me suis rendue compte que mes parents, ma soeur et mon frère avaient enduré cette épreuve ; et je me suis consolée en constatant que cela avait contribué à nous unir davantage, à nouer des liens encore plus forts entre nous tous. Mais ce qui a été le plus dur à supporter pour moi, et qui l’est encore aujourd’hui... c’est le fait d’avoir survécu, alors que d’autres enfants n’ont pas eu cette chance. Me rendre compte de ça a été insoutenable, et je l’ai gardé trop longtemps pour moi, d’ailleurs. Je n’en n’ai parlé que récemment... Je trouvais ça tellement injuste. Pourquoi moi, et pas d’autres ? C’était inconcevable, rationnellement.


J’ai eu, parfois, en y pensant, l’impression que la vie que je vivais désormais, après ma maladie, était « factice », dans le sens où je n’aurais logiquement pas pu la vivre. Je ne me suis jamais sentie coupable de vivre, ça non ; mais je trouvais ça injuste d’avoir eu le droit de vivre, alors que d’autres non. Je ne crois pas en Dieu, pour cela, car pour moi iil était incompréhensible qu’il laisse mourir des enfants innocents. J’ai préféré me rattacher à la science, et au fait que si j’ai survécu, c’est parce qu’à ce moment-là, mon corps a eu la robustesse suffisante pour vaincre la maladie, à l’aide de tous les médicaments et traitements que l’être humain avait pu créer pour donner la chance aux personnes atteintes de cette leucémie de se battre contre ça. Ca m’a aidée à accepter un peu, mais je vis toujours avec cette douleur, lorsque je repense à tous les enfants et adolescents qui n’ont pas eu ma chance. Mais aujourd’hui, lorsque cette douleur au coeur me vient, je me dis : « non, au contraire ; tu as la chance de vivre, toi ; alors vis mille fois plus, vis intensément, vis pour tous ceux qui n’ont plus la chance de vivre aujourd’hui. vis pour eux, respire pour eux, aime pour eux ». Et lorsque je pense a cela, je sens mes forces décuplées, comme s’ils étaient là, avec moi. Et j’ai mille fois plus envie de vivre, de respirer, d’aimer.


Aujourd’hui, ma famille est toujours aussi soudée, et j’ai la chance d’avoir des parents formidables et très ouverts, une soeur et un beau-frère géniaux, et un frère adorable. Je vis toujours dans mes montagnes, et ce sont aussi elles qui me font vivre. J’ai du mal à passer une semaine sans aller sur un sommet pour observer les oiseaux, ou dans la forêt pour laisser aller mes pensées. C’est d’ailleurs au coeur des montagnes, dans la vallée des Glaciers, en Savoie, que j’ai rencontré Claude et Monique tout à fait par hasard, alors que je me baladais avec mes amis. Et ils m’ont raconté leur histoire, et ainsi, la boucle fut bouclée...


Je ne sais que dire à tous les parents qui endurent ou ont enduré l’épreuve de cette maladie, si ce n’est que ce qui compte, c’est l’instant présent, et les moments inestimables que l’on peut passer avec la personne malade... même si je n’étais pas vraiment consciente de ma leucémie,
j’en garde avant tout ces moments de partage et de bonheur, qui effacent toutes les peines, même si ça ne dure qu’un instant.


Je salue les initiatives des différentes associations comme le Défi Anthony, qui contribuent a donner de l’espoir à tous malgré la dureté de la peine. Et je salue le travail de tous les professionnels de la médecine, sans lesquels je n’aurais jamais pu écrire tout cela pour vous, et qui se donnent pour sauver des vies et trouver toujours plus les moyens de rendre la guérison possible... la leucémie n’est plus forcément une fatalité, aujourd’hui ; voila ce qu’il faut garder à l’esprit. Grâce à eux, grâce a la science, grâce aux associations... nous serons petit à petit toujours plus forts face à cette maladie.


Quant à moi, je continue de marcher, d’aller de l’avant et de respirer à pleins poumons, pour moi, pour eux, pour nous. Et je ne suis pas prête de m’arrêter...


Sophie Dunajev